Les boues d'usine d'épuration : un si beau projet de recyclage !

N.B. La présente me fut transmise par sa signataire, France Lemieux, de l'organisme Les citoyens pour une gestion responsable des boues. Avec sa permission, je la publie ici in extenso (après quelques menues corrections).

* * *

Godmanchester, Jour de la Terre 2013

Messieurs Les Ministres, 

Yves-François Blanchet,
Pierre Duchesne,
Bernard Drainville,
Sylvain Gaudreault,
François Gendron,
Réjean Hébert

Les boues d'usine d'épuration : un si beau projet de recyclage ! 

On va épandre des MRF (boues d'épuration) à quelque 100 m de mon puits. C'est selon les normes du Guide de recyclage,  en espérant que l'indice DRASTIC ait été pris en considération, qu'on épargne le petit esker tout près, ainsi que le milieu humide déboisé l'été dernier.

On va épandre, et les quelques 12 jours d'interdiction permis ne m'aident pas du tout. Oh! les odeurs! Si ce n'était que ça, je me tairais. Le MDDEFP (Ministère du développement durable, de l'environnement, de la faune et des parcs) se veut rassurant : « On fait ça depuis 30 ans et il y a des normes strictes ».

En septembre 2011, le ministre Lessard ordonnait  à  la  MRC du Haut-Saint-Laurent de retirer son règlement avec cet argument de taille : «qu'il ne faut pas nuire à la viabilité financière des agriculteurs».  Est-ce une activité agricole? Même le CPTAQ en doute (1).

Et la semaine dernière, on  met 17 millions de dollars sur l'usine de traitement des eaux de Salaberry-de-Valleyfield.  Je devrais être rassurée et me reposer! Pourtant ce n'est pas le cas et, pour mon anniversaire ou la fête des mères, j'aurai des épandages en cadeau !

En octobre 2012, je suis allée à une présentation d'épandage de MRF d'Agrobiosol à Saint-Chrysostome. On fait bien ça : laser, machine calibrée, agronomes sur place. J'ose croire que la «non-acceptation sociale» des voisins, en 2009, y a été pour quelque chose. Il y avait tellement d'infractions au Guide (2). Haute technologie impressionnante...

Mais du contenu des boues? J'étais la seule à poser des questions...
- Mais c'est étudié, madame, et il y a des normes strictes, me répond une jeune agronome.
- Vous connaissez le Triclosan? (3)
- Ah! les savons antimicrobiens... On connaît, mais pas sa présence dans les boues.
- Et les PBDE (retardateurs de flammes) et l'étude du lait de M. Hébert (2011)... (4)

Oh! On reste un peu surpris...

M. Marc Hébert, faut-il taxer nos enfants 2 fois?
Faut-il réclamer au MAPAQ qu'on le mentionne sur l'étiquetage? (5)

On fait ça depuis la nuit des temps, épandre l'Or Brun. (6) Mais depuis, l'industrie chimique produit des milliers de composés nouveaux aux effets toxicologiques encore mal connus. On fait ça aux USA, en France, en Espagne, nous serine le MDDEFP. Mais, vérifications faites, là aussi on s'interroge, on cherche, on doute de l'innocuité de la pratique. (7)

Mon laboratoire maison ne peut étudier tous les CIE (composés d'intérêt émergent) contenus dans les boues. Mais lors d'une formation du MDDEFP, trois ans après l'épandage de MRF (boues), le petit ruisseau au bout de notre champ gagnait le score de polluants sur tous les autres échantillons et dépassait très largement la cote en microSiemens [µS] du lisier de porc. On dira qu'on a certainement fait des erreurs de manipulation! Mais soyez rassurés, il n'y aura plus de prélèvements : l'agriculteur impliqué dans les épandages vient de remblayer le ruisseau!  De toute façon, il n'y avait plus de ménés là depuis fin 2009.

Si je m'en tiens au Triclosan, Environnement Canada a fixé un seuil de toxicité de 115 ng/litre et, depuis le 31 mars 2012, (8)  ce produit est considéré comme bioaccumulable dans l'environnement. J’ai su en octobre 2011, via l'équipe Dawn de Proctor&Gamble, qu'il y en avait «dans la bile des petits poissons».  Le 9 février 2013, Environnement Canada  a émis un avis de déclaration obligatoire aux possesseurs de plus de 10 kg de Triclosan... (9). Les fosses de boues d'usine d'épuration en contiennent combien? Les autorités devront-elles le déclarer avant de procéder à l'épandage?

Et on va épandre joyeusement et avec «innocence»?

J'admets avec M. Claude Villeneuve qu'on produira moins de gaz à effet de serre, bien qu'il soit moins catégorique en ce qui  concerne les contaminants depuis quelques temps. Pour les CIE (composés d'intérêt émergent), on a encore besoin d'étudier et d'appliquer un  gros principe de précaution. (10) Ne pas mettre la charrue avant les bœufs.

Le Triclosan est un pertubateur endocrinien... et, malgré mon affection pour Paracelse, ici, la dose même minime perturbe. En février dernier, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) considère les perturbateurs endocriniens comme «une menace mondiale pour l'environnement». (11) Donc, le principe de dilution prôné depuis 30 ans doit certainement être réévalué.

Mon amoureux a un cancer hormonodépendant... et le voisin à l'ouest aussi... et j'apprends qu'un troisième – qui demeure près de « la lagune » – a aussi un cancer. On ne peut prétendre à une cause environnementale, mais permettez-moi d'avoir des soupçons.

Et, je n'ai pas encore étudié les PBDE (5 congénères interdits depuis le 19 juin 2008) (12), mais encore bien présents dans les boues... Ça va s'accumuler ou se dégrader dans l'air cette fois? Ah! mes tomates... et le blé bio du voisin...

Les MRF... de boues d'usine d'épuration... Permettez-moi de douter que cela soit la meilleure façon d'en disposer en les épandant le plus largement possible sur les terres agricoles. Les normes sont strictes pour le pH, le phosphore et l'arsenic... Mais il faudrait en ajouter pour plusieurs autres contaminants, à ce qu'il me semble.

Voilà que s'ajoute la problématique des gaz de schiste. À Huntingdon, en novembre 2011, le MDDEFP me répond qu’on pourrait épandre les boues résultantes des eaux de fracturation du gaz de schiste «si conformes aux normes». Un peu inquiétant, surtout après avoir lu le rapport du Gouverneur général qui mentionne que : «Les usines ne sont pas conçues pour traiter les eaux de fracturation...» (page 33 de l’ÉES). Mais, étrangement, une source anonyme compétente en la matière me rassure sur les eaux de fracturation car les «boues d'usine d'épuration, c'est pire... mille fois pire».

Oui, je sais que ce n'est pas facile : un si beau projet de recyclage! Et que faut-il faire de ces boues?  Les épandre? Une solution qui semble économique, «la plus cheap», que je disais déjà au ministre Arcand en 2010, mais qui pourrait s'avérer  très très coûteuse.

Dans le récent dossier des éoliennes, votre gouvernement a endossé la demande de mes concitoyens(nes) accordant une distance minimale de 2 km. Pour des raisons tout aussi «sécuritaires», j'oserais demander un accommodement semblable : cette même distance des puits, des cours d'eaux, des élevages, tables champêtres et autres habitations. 

Messieurs les ministres des différents ministères impliqués, 

Il semble urgent d'avoir une communication « écosystémique » et des actions coordonnées.

En ce Jour de la Terre, je mets en acte Le Devoir de philo du samedi 6 avril dernier qui citait M. Gunther Anders : «Inquiète ton voisin comme-toi-même», et je vous demanderais de vous inquiéter aussi, et de mettre des efforts accrus pour qu'on passe à une technique de disposition des boues respectueuse de la terre, de l'eau, de la biodiversité et de la santé des êtres humains. 

Veuillez agréer, messieurs, mes salutations les plus distinguées,

France Lemieux
Les citoyens pour une gestion responsable des boues

791, chemin New-Erin
Godmanchester, Qc
J0S1H0

450-264-4063

cc. M. Stéphane Billette, député de Huntingdon
      M. Marc Hébert, MDDEFP 
        M. Simon Naylor, Vecteur Environnement
        Médias

Références 

1 - CPTAQ : dossier 403560 (en cours de décision)
http://www.cptaq.gouv.qc.ca/index.php?id=198&action=rechercher

2 - Avis d'infraction du 28 juillet 2009 par la Direction régionale du centre de Contrôle environnemental de l'Estrie et de la Montérégie. LRQ, chapitre Q-2, article 123.1 et 20.

3 - Triclosan




11- Perturbateurs endocriniens


12- PBDE – 2008-2013


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Économie / Terres agricoles cultivées à l'étranger

Cinéma / Avatar, de James Cameron : une critique de Martin Bilodeau