Méditations sur l'éveil et l'illusion


L’obscurité de l’ombre des pins
dépend de la clarté de la lune.
Kôdô Sawaki

Au lecteur non averti, cet exergue semblera d’une remarquable insignifiance ! « Effectivement, se dira-t-il, plus la lune est brillante, plus les ombres gagnent en contraste et sont dès lors aisément observables. Et alors ?! Ce n’est là qu’un phénomène physique tout à fait banal. »

Or, l’énoncé est celui d’un maître zen. Et l’on sait bien que leurs énoncés ne le sont pas à la légère, qu’ils portent une lourde charge signifiante, surtout lorsqu’ils sont consignés dans les archives de la tradition et maintes fois réitérés et commentés par les maîtres subséquents, que ce soit dans leur discours (teisho) ou leurs écrits.

De cet exergue d’un réalisme naïf désarçonnant, Roland Yuno Rech, maître zen de l’école Soto, nous offre l’explication suivante : « Autrement dit, l’éveil comme l’illusion sont vacuité, ils n’ont pas de substance propre, ils n’existent que l’un par rapport à l’autre . » (Et, aimerais-je ajouter, ils sont tous deux du domaine de l’esprit.)

« La clarté de la lune » désigne l’intensité – variable – de l’état d’éveil. « L’obscurité » de l’ombre des pins désigne la prise de conscience plus ou moins vive de notre conception égocentrée du Réel.

Au fur et à mesure que la lumière de la lune s’intensifie (la lune de l’éveil s’élève peu à peu dans le ciel du méditant), le contraste se renforce entre les zones sombres et les zones éclairées du paysage : les ombres deviennent relativement plus obscures et donc mieux perceptibles. Les illusions sont graduellement – ou subitement – perçues pour ce qu’elles sont : des illusions.

Mais qu’en est-il des pins… et du sol qui les porte et sur lequel se projettent les ombres? Ils sont tous deux matière. Tout comme le corps du méditant, ils « sont ». Alors qu’aux yeux du méditant, l’obscurité et la clarté « existent » : « ils n’ont pas de substance propre, ils n’existent que l’un par rapport à l’autre ».

Cependant… attention! Les pins et le sol – quoique d’une autre nature que celle de l’esprit – n’ont pas, eux non plus, de « substance propre » : les pins, le sol, l’obscurité, la clarté et les ombres résultantes, le corps et l’esprit du méditant, tous sont marquées du double sceau de l’impermanence et de l’interdépendance.

Ce n’est donc pas que « la matière n’existe pas » et que « tout est une création de l’esprit ». C’est plutôt que le champ de la matière et le champ de l’esprit, quoique différents, sont impermanents et interdépendants.

Ceci dit, l’intention première qui porte l’exergue est de mettre en évidence – dans l’esprit de ses auditeurs – deux états possibles de l’esprit (l’état d’éveil et l’état d’illusion) afin de les établir sur un même palier de compréhension : ils forment un dipôle – comme les deux partenaires complémentaires et indissociables (et non pas foncièrement adverses) d’un seul jeu de l’esprit. Ce qui, en état d’éveil, pourrait se formuler ainsi :
« Lorsque je vis sous l’emprise de l’état d’illusion, je ne vois pas les illusions comme étant des illusions. Lorsque je suis en état d’éveil, je vois les illusions comme étant bien des illusions. »

Notons aussi que les ombres, les illusions, ne disparaissent pas avec la clarté croissante de la lune : elles contrastent davantage, elles saillent, elles sont vues… pour ce qu’elles sont: a) des productions conjointes de l’esprit et de la matière et, surtout, b) des productions égocentrées de cet autre dipôle qu’est celui de l’attachement et de l’aversion.

Tout comme les premières, les productions égocentrées ne disparaissent donc pas par enchantement, mais, à tout le moins, elles sont vues. Elles ont dès lors une moindre emprise sur nos sentiments, nos pensées et nos conduites. Comme le dit Roland Yuno Rech : « Cela ne signifie pas, par exemple, être sans désirs, mais être détaché, ou non, de la réalisation de ses désirs. »

L’alternance des états d’illusion et d’éveil, une alternance plus ou moins maîtrisée par le méditant, lui offre ainsi une alternative, une option, la possibilité d’un choix. Tout comme Néo, le personnage principal du film « La Matrice », nous avons le choix entre la pilule rouge et la pilule bleue : nous éveiller ou non à l’Illusion, au Rêve, et participer alors – consciemment ou inconsciemment – de l’Illusion. Et non pas celui de lui échapper... Néo ne peut se soustraire à sa destinée (au fait qu’il est Néo), mais il peut, en s’entraînant et donc en se transformant, la jouer autrement : plus lucidement, et donc avec plus d’efficacité et de compassion.

Pour les citations : Roland Yuno Rech, "Concentration et observation" in « Enquête au cœur de l’être. Entretiens avec dix-sept guides spirituels », Albin Michel, Paris, 2008, p. 144.

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Commentaires

  1. Bonjour

    ils peuvent me dire où la photo est belle, ou qui l'a fait?

    salutations

    Barbara-Paraprem

    RépondreSupprimer
  2. La photo a été tirée du site web suivant :
    http://dojo-zen-brive.blogspot.com/2011/03/sans-objet.html

    Bonne journée !

    RépondreSupprimer

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